samedi 24 septembre 2016

25 juillet au 18 août 2016 - Ouzbékistan... de rentrer!


Le passage douanier ouzbèke nous prend une heure. Nous devons remplir un formulaire, indiquer le montant exact d'argent que nous avons, nos valeurs, etc. Il faut ensuite passer toutes nos sacoches aux rayons X, puis les vider. Les médicaments sont inspectés un par un, tandis qu'un douanier passe en revue les photos et vidéos de nos appareils électroniques, commentaires en sus. Téléphone portable, ordinateur, appareil photo, tout y passe. Il repère une photo prise à Dushanbe d'un bâtiment en construction et nous demande s'il peut la récupérer sur sa clé USB, car un pote à lui travaille sur ce chantier, il veut la lui montrer. On croit rêver... Plus loin, un médecin prend notre température pour s'assurer que nous n'entrons pas avec une fièvre quelconque. Passé la frontière, il s'agit de changer des dollars au marché noir, contre une imposante liasse de soms ouzbèkes. Avec un taux de change deux fois plus avantageux que le taux officiel, le marché noir est ton ami. Bienvenue en Ouzbékistan!

"Attends, il faut que je recompte, j'ai perdu le fil là..."
Lorsque nous pouvons enfin reprendre notre route avec James, nous décidons de pousser jusqu'à Denov, la première ville d'importance après la frontière. C'est plat, les champs de cotons qui ont asséché la Mer d'Aral se succèdent autour de nous, nous avalons les kilomètres sans difficulté jusqu'à la nuit tombée... Il est 22 heures lorsque nous arrivons à Denov, nous avons pédalé plus de 100 km depuis notre départ de Dushanbe ce matin. Le premier hôtel que nous trouvons est beaucoup trop cher. Nous en dégotons un deuxième où l'on nous annonce que c'est complet, puis fermé (?!)... Nous nous asseyons sur les marches, dépités. Passe alors Murat, un homme d'un certain âge qui rentre à la maison. Spontanément il nous invite à passer la nuit chez lui. Heureux de pouvoir dormir ailleurs que sur un banc, on ne se fait pas prier. Murat, débonnaire retraité, vit seul dans une baraque très sommaire, sa femme est décédée il y a quelques années. La douche est au fond du jardin, un baquet d'eau froide tirée à la pompe et une tasse, derrière un paravent bricolé. Enfin un peu de fraîcheur... Murat nous offre de la pastèque et de la vodka en signe de bienvenue, mais nous tombons de sommeil. Nous avons la chance de dormir sur l'estrade dehors sous la moustiquaire, tandis que James est installé sur un matelas à l'intérieur. La chaleur est telle que malgré le ventilateur il passe la nuit à suer...

Au matin Murat va nous acheter des nan (les pains ronds et plats qu'on trouve dans toute l'Asie Centrale) et nous offre de la pastèque, du raisin, des figues de son arbre, des oeufs durs. Les voisins passent les uns après les autres, apportant l'un du riz pilaf, l'autre des fruits de son jardin, un troisième des blinis... Le petit-déjeuner se transforme en vrai festin... Ismail, l'un des voisins plutôt nanti, se fait un devoir de nous «kidnapper» chez lui. Il nous force quasiment la main, alors que nous avons décidé de prendre le train pour Samarcande au plus tôt. Il faut dire qu'aucun de nous n'a envie de rouler sur les routes monotones d'Ouzbékistan, par une chaleur infernale. Après la route des Pamirs, nous avons beaucoup de peine à retrouver la motivation de pédaler. Notre seule envie ici est de visiter les villes mythiques de la route de la Soie, Samarcande, Boukhara et Khiva.

Notre hôte Murat nous gâte! Nous mangeons, installés sur l'estrade
où nous avons dormi sous moustiquaire
Tout ça! Et la saucisse tadjike de James

Avant de se rendre à la grande maison d'Ismail, James et Jonas parviennent à s'esquiver pour aller se renseigner sur les horaires et billets de train. Ils apprennent qu'il n'y a plus de billets pour Samarcande aujourd'hui. Pas de bol. Pendant ce temps Emma se fait offrir un accoutrement local du plus bel effet. 

Nous passons le reste de la matinée chez Ismail, dans une chambre luxueuse à l'air conditionné, assis devant une nappe remplie de victuailles. Alors que nous sommes déjà rassasiés, il nous faut continuer de manger pour faire honneur à l'invitation. Sa femme fait des allers-retour, déposant devant nous de la soupe, des fruits, des amandes et des noix, des biscuits, des bonbons. Elle ne s'assiéra jamais avec nous...

Une demi-heure plus tard... C'est reparti!
La maîtresse de maison et ses deux filles. Emma reçoit une superbe robe traditionnelle
ouzbèke. L'avantage, c'est que c'est pratique à vélo...

Ismail nous conseille de préparer une petite liasse de billets à mettre dans la poche du contrôleur pour pouvoir prendre le train sans ticket. Il nous indique même le montant «convenable». Plein de confiance nous allons à la gare, pépères, notre liasse en poche. Le train arrive. À la hussarde, nous embarquons notre montagne de sacoches et nos trois vélos dans le wagon de queue. S'ensuit une longue tentative de corruption sur divers employés du train et fonctionnaires, qui échoue lamentablement et se termine par l'intervention d'un flic à deux doigts d'embarquer Jonas au poste. La mort dans l'âme, nous laissons tomber et redescendons tout notre barda sur le quai. Nous reste une solution, l'auto-stop. Nous roulons jusqu'à la sortie de la ville, nous arrêtons à l'abri du soleil brûlant et attendons une bonne aubaine.

Après une centaine de kilomètres passés à l'arrière d'un pick-up et l'envol inopiné du saucisson tadjik de James, nous débarquons à Termez, la ville la plus au sud de l'Ouzbékistan, aux portes de l'Afghanistan. Nous allons bientôt apprendre que c'est aussi la ville la plus chaude du pays. Après avoir cette fois-ci dûment acheté nos billets pour Samarcande, nous passons la journée du lendemain à errer de café à air conditionné en restaurant à air conditionné, attendant le train du soir. Dehors il fait presque 50 degrés au soleil, le vent venu d'Afghanistan souffle, recouvrant toute la ville de sable, opacifiant l'air. Un enfer sur terre.

Trois vélos à l'arrière d'un pick-up

Arrivés à Termez, les garçons imitent les locaux et se rafraîchissent
dans un canal à l'eau saumâtre

Petit-déjeuner au sable
 Dans le train-couchettes nous continuons de dégouliner jusqu'à la nuit. On se prépare des pâtes dans la cabine du contrôleur, on échange quelques mots avec nos voisins de banquette grâce à notre russe brinquebalant. Après une nuit peu reposante, le train nous dépose à l'aube à Samarcande. Nous roulons dans les rues désertes, passons au devant de splendides monuments que la foule des touristes n'a pas encore envahi. Assis sur un muret devant une porte d'entrée, nous savourons le nan tout chaud que nous venons d'acheter, lorsqu'un homme en costume sort de la maison pour prendre son bus. Nous apercevant, il retourne à l'intérieur et nous rapporte une théière pleine et 3 tasses, puis saute dans le bus suivant. Nous sommes une fois de plus bluffés par le sens de l'hospitalité des Ouzbèkes. Le petit-déjeuner terminé, nous déposons la théière et les tasses sur le seuil de sa maison et allons chercher notre hôtel.

James aux fourneaux dans le train de nuit

C'est ici que nos routes se séparent avec James, nous ne sommes pas dans le même hôtel et nous n'avons pas le même planning. Nous passons 4 jours à visiter la ville et ses nombreux monuments à l'architecture timouride, tous plus beaux les uns que les autres. L'imposante place du Régistan et ses trois médersas, la mosquée et le mausolée Bibi Khanum, la nécropole Shah-I-Zinda, le mausolée de Gur Emir... On ne boude pas notre plaisir, faisant fi des critiques des spécialistes jugeant les restaurations successives beaucoup trop invasives, voire carrément fantaisistes. 

Le Régistan ("Place des Sables") à la tombée de la nuit
Les cellules d'une des médersas
La Mosquée Bibi Khanum
Le mausolée Gur Emir
Le cimetière et les mausolées de Shah I Zinda
Shah I Zinda, une allée de mausolées (ça rime)
Les magnifiques calligraphies
Céramique
Les femmes, encore et toujours au labeur
On a emprunté un gosse pour la photo. On l'aurait bien ramené, comme Angelina

Durant ces quelques jours de visite, nous faisons nos adieux à James. Nous sautons dans le train direction Boukhara. Dans notre charmante guesthouse en plein centre historique, nous commençons à nous préoccuper de notre visa turkmène. Depuis des semaines, les voyageurs en sens inverse que nous rencontrons nous rapportent que l'obtention dudit visa est une grosse loterie; la rumeur court que seulement une personne sur cinq l'obtiendrait à l'heure actuelle. C'est l'un des pays les plus fermés au monde. De nombreux cyclistes ont été obligés de traverser la Mer Caspienne depuis l'Azerbaïdjan pour atteindre l'Asie Centrale, le Turkménistan faisant office de verrou entre l'Iran et l'Ouzbékistan.

Sans trop y croire, nous avons tout de même déposé notre demande de visa à Dushanbe, mais n'avons pas eu suffisamment de temps pour attendre la réponse sur place. Nous avons insisté pour qu'elle nous soit communiquée par email, provoquant la mauvaise humeur du fonctionnaire de l'ambassade. En théorie, si la demande de visa est acceptée, un code est transmis également par email, à présenter à la frontière turkmène pour recevoir le précieux stempel. Quatre matins de suite nous réquisitionnons le patron de notre guesthouse à Boukhara pour appeler l'ambassade turkmène à Dushanbe. La réponse est invariable: «toujours en cours de procédure, rappelez demain à la même heure.» Cela fait plus de 10 jours que nous avons déposé notre demande, nous commençons à comprendre que ça sent le roussi pour le Turkménistan, et par la force des choses pour l'Iran par voie terrestre. Il va falloir trouver un plan B...


Chor Minor (4 minarets)
Le souci du détail
La vieille ville de Boukhara et ses bulbes
Un joyeux foutoir
Médersa Po I Kalon et son minaret

La statue du derviche Nasreddine, tout heureux avec ses gamins

Médersa reconvertie en hôtel
Nous faisons définitivement une croix sur la traversée du Turkménistan au moment où nous nous embarquons dans un taxi partagé pour Khiva, 500km plus au nord. Reste la question cruciale: et maintenant, quoi? Dans tous les cas, il nous faut remonter au Kazakhstan, qui ne nécessite pas de visa. Mais ensuite? Un vol Aktau-Téhéran? Ou Aktau-Istanbul? Le ferry pour l'Azerbaïdjan? On évite soigneusement la question en se baladant en long en large au sein des murailles en terre de la petite citadelle de Khiva. Nous arrivons le soir de la Fête Internationale du Melon (si si), il y a du monde partout et une avalanche de melons et pastèques de toutes les tailles, couleurs et formes. On se fait offrir chacun notre melon, c'est très pratique pour visiter la ville. Pour la petite histoire, il faut dire que ce sont les meilleurs melons qu'on ait jamais goûté...
Des melons en veux-tu en voilà

Sculpture sur pastèque

Minaret Kalta Minor (minaret court)

Vue de Khiva depuis le minaret Islam Khodja

Ruelle de Khiva
La forteresse Kounya Ark et le minaret Kalta Minor
Mosquée Ak (mosquée blanche)
Nous faisons un tour sur la Grande Roue. Ça grince, les sièges sont fissurés
et les tubulures rouillées. On se demande à quel moment notre nacelle va se décrocher. 
En descendant, le proprio nous confie que la roue a 35 ans, elle date de l'ère soviétique

De Khiva, nous reprenons nos vélos pour 50 km, puis montons en début de soirée dans un taxi partagé pour Kungrad. Des heures de route en ligne droite dans le désert, Emma coincée à l'arrière avec 2 grands gaillards, Jonas à l'avant, un sac de melons sous les genoux. Le chauffeur se met à grignoter frénétiquement des graines de tournesol afin de ne pas s'endormir au volant. Il est trois heures du matin lorsque nous arrivons à Kungrad. Notre chauffeur nous envoie dormir dans une chambre miteuse que loue pour 1.30.- chf l'une de ses connaissances sur place (on ne se sera pas ruiné au moins). Lui dort dans son taxi dans le garage, nos vélos encore sur le toit et nos sacoches dans son coffre. Au matin il nous dépose à la gare et nous embarquons dans le train direct pour Aktau, Kazakhstan.

Nouveau passage frontière. Nous présentons au douanier les tampons des hôtels où nous avons dormi. On nous avait prévenu, en Ouzbékistan il est impératif de s'enregistrer toutes les 3 nuits dans un hôtel sous peine d'amende prohibitive (un moyen pour l'Ouzbékistan de générer un maximum de nuitées à l'hôtel). Bref, on agite fièrement nos petits billets tamponnés sous son nez comme de bons élèves. Il hausse les sourcils, ne comprend pas ce dont il s'agit. Autant pour les «on-dit» et «il faut»... Au vu du nombre de nos sacoches, il renonce à fouiller quoi que ce soit. À peine a-t-il le dos tourné que les employés du train démontent des grilles d'aération et en sortent tout un fourbi, des dombras (luth d'Asie Centrale), des énormes pastèques, des légumes en tout genre... Le spectacle nous fait bien marrer.

On débarque à Aktau au matin, bien déphasés. Nous revoilà au Kazakhstan, cette fois-ci sans réelle envie, sans idée pour mener à bien la dernière partie de notre voyage. Nous sommes en latence, un peu largués. Il nous faudra quelques jours pour parvenir à prendre une décision, nous avons beaucoup de mal à tirer un trait sur l'Iran et la Turquie, dont les gens nous parlent avec tant d'enthousiasme. Mais l'idée de rouler en Iran par plus de 40 degrés, en manches longues, pantalons longs (et voile pour Emma) nous décourage. Nous sommes impatients de retrouver l'Europe (et il faut bien l'avouer, sa cuisine) et nous finissons par réserver un vol pour Athènes. Un gros coup d'accélérateur et une nouvelle page de notre voyage qui se tourne.

La vue sur Aktau depuis la fenêtre d'Erol, notre hôte warmshower, au 18ème étage
Un bain dans la Mer Caspienne
Trois fois rien, quoi!


"Les paysages ont été si beaux, nos estomacs jamais en paix.
Nos vélos brinquebalés, nos pneus crevés, un réchaud pété, mes jantes cassées.
Beaucoup de cyclistes rencontrés, des cols de fous à des altitudes insensées.
Des beaux lacs salés, des homestays infestées de punaises de lit.
Des shashliks de mouton, des plovs, mantis, beshbarmak et des soupes
en tout genre, sur 4 mois, peu de diversité.
Bazaars aux belles ambiances.
Au revoir et merci l'Asie Centrale."

Extrait du Journal de Bord de Jonas